Note d'intention

 

A propos

 

« Il faut créer son monde à l’intérieur du monde.

Quand j’entre dans cette pièce, ce n’est pas chez moi, il me faut créer d’autres murs. C’est comme écrire : il faut avoir des mots qui sont les siens. Il y a des mots qui ne sont pas les miens, je ne les emploie jamais. Il y en a que je sais que j’emploierai toujours parce qu’ils sont de ma famille. Il y en a d’autres qui vont venir, qui viennent, que je n’employais pas et que je commence à aimer. Les écrivains ont tous le même tiroir et il faut faire avec, il faut trouver les mots justes. Les mots qu’on emploie nous définissent. - Philippe Dorin


Le choix de cette pièce réside dans la particularité de sa matière : l’univers poétique, humoristique et parfois âpre dans lequel Philippe Dorin nous immerge.

Des situations ramenées à leur essentiel dessinent avec justesse les rapports de la plus petite cellule humaine au monde : la famille. Petite cellule donc, mais grande histoire, ou encore « épopée » car l’histoire de la famille c’est avant tout une succession d’histoires, entre mêlant moi-tu-je-nous ; créant des allers-retours entre chacun des protagonistes, mélangeant les histoires, les souvenirs, fabriquant une réalité toute notre ; imbriquant nos êtres dans l’historicité généalogique et s’évanouissant dans notre inconscient.

Mais à travers ce jeu de rôles, cet inconscient est remis en question et l’histoire se réécrit. L’histoire de la famille est donc sans fin. 

C’est étrange, une histoire sans fin ou tout recommence toujours, car quand même, la famille n’est-elle pas l’endroit où tout commence et où tout se met en place ? Et si nous devions jouer au jeu « des chaises musicales » pour trouver où nous sommes, qui nous sommes ?

Forgé à partir de représentations archétypales, le jeu grossi les traits de caractère des personnages, exhorte le méli-mélo des places à tenir ou à prendre, met en exergue le jeu « de la famille » - à défaut des « 7 » - théâtralise ce qui l’est déjà d’une certaine manière, c’est un peu comme jouer à jouer à la famille, c’est un peu déjà jouer au théâtre, c’est un peu déjà le théâtre…

 

 

 

Bouge !

 

Derrière cette façade bariolée se trouve une véritable réflexion sur l’existence, la construction de l’individu dans ce système social qu’est la famille, sa transmission ainsi que sa fin et ce qu’il en subsiste. Si en naissant, nous portons tous les traces morphologiques de ceux qui nous ont précédé, s’ajoute à cela un héritage plus tenu, liant atavismes psychologiques, schémas comportementaux et mœurs sociaux, préexistant en filigrane au sein de chaque cellule familiale et ceux-ci sont difficiles à déceler étant souvent inconscients...

Ces traces initiales sont toujours présentes même si, adulte nous n’y prêtons plus attention. De génération en génération, nous léguons bien plus qu’un patronyme et qu’une éducation…

Chaque parent ou éducateur transmet également un patrimoine sensible où l’affect, l’intérêt, les joies, mais aussi la colère, l’incompréhension, les peurs et tant d’autres émotions et sentiments tissent un patrimoine complexe et en perpétuelle évolution.

Avec le temps, d’autres informations viennent enrichir notre personnalité, acquises par le biais d’expériences individuelles, ces évènements heureux ou malheureux complètent notre personnalité.

En admettant que ceux qui nous ont précédé ont eux aussi été des enfants, il est troublant de vérifier que certains de ces comportements perdurent au fil des générations sous des formes concrètes ou modifiées. Que nous intégrions ou que nous rejetions ces legs, nous nous bâtissons avec et grâce à cet ensemble de données. Et c’est par ce prisme initial que nous appréhendons le monde. En quelque sorte nous sommes tous habités par les fantômes de notre famille.

 

 

Genèse


Rencontre avec un texte, une écriture, un auteur…

Premier contact avec Bouge plus ! 

 

En 2006, la Chartreuse de Villeneuve-les-Avignon (Centre d’écriture contemporaine) organise son neuvième « Itinéraire d’auteur » autour de P. Dorin. Nous sommes engagés pour lire ses œuvres dans divers lieux culturels du Languedoc-Roussillon et de Provence-Alpes-Côte d’Azur. C’est à cette occasion que nous rencontrons l’auteur et ses écrits, dont « Bouge plus ! ».

 

C’est dans une des cellules de La Chartreuse et sous l’œil facétieux de Michel Froehly (metteur en scène) que se fait cette première lecture de « Bouge Plus ! ». Le texte n’est encore qu’un bloc et son contenu n’est pas encore définitif. Nous commençons la lecture. Passé quelques pages, les sourires se dessinent sur nos visages avec cette question en écho « mais c’est quoi ce texte… ». Les tableaux s’enchaînent au rythme des « Allume ! - Lumière - Silence - Eteins ! - Noir », les personnages s’identifient au début des saynètes et voilà que la chaise prend la parole…

 

La lecture de la pièce ponctuée de rires se poursuit, mais une étrange sensation se développe. Ces mots, ces situations, pourtant simples et drôles, sont en train d’ourdir quelque chose. Cette impression se confirme en parcourant les dernières pages. Nous avons là un texte d’une incroyable profondeur et d’une richesse étonnante.


Tous les thèmes de la vie y sont abordés : l’apprentissage, la transmission, la place de chacun, ce que l’on est, celui qu’on voudrait être, celui qu’on deviendra peut-être ; l’amour que l’on porte, celui qu’on nous donne - mais qu’on ne voit pas toujours, celui que l’on donne, celui qu’on reprend, celui qui nous reste sur les bras, les conflits, les transgressions, l’abandon, la mort, l’insondable, le poétique et tout ce cortège de questions - parfois résolues - qui parsème le chemin de l’existence.

 

Dans « Bouge Plus ! » les mots complotent en bande organisée, fabriquant de petites phrases concises, mais mettant en marche une discrète mécanique ; si on les laisse faire, elles nous prennent la main et nous entraînent, juste un peu plus loin, sur un chemin qui nous éloigne du terrain de jeux et de l’enfance.

 

Cette pièce nous transporte au cœur de la cellule familiale, nous fait entendre son battement, ses arythmies, nous exposant son spectre tour à tour lumineux et obscur.

 

« Bouge plus ! » décline notre propre histoire à tous les temps : passé, futur, présent et parfois simultanément.

 

« Le père, la mère, l’enfant. Nous n’en finissons pas de nous nommer. Tout ne tient que par quelques mots. Nous n’en finissons pas de bouger. Les fleurs, la chaise, la table. Les choses, elles, ne disent rien. C’est pour ça qu’elles restent immobiles. »  Philippe Dorin

 

 

Parti pris

 

Cette pièce a été conçue comme une suite de scènes pouvant servir de matériel à la construction d’un spectacle. L’ordre peut en être changé. Certaines scènes peuvent être répétées plusieurs fois, sur des modes différents ou en interchangeant les rôles. Il faut toujours que l’on garde l’impression de quelque chose qui s’essaie. Philippe Dorin

 

La vie est un cycle de (re)production. Le spectacle est donc conçu comme une boucle.  À l’entrée du public, le spectacle a déjà commencé. À la fin, les places initiales sontreprises par des personnes différentes. L’histoire pourrait se répéter, différemment, mais indéfiniment.

 

Mise en jeu ou l’encodage

Il fallait essayer de retranscrire l’éclat du texte, sa construction et singulariser cette famille par ses propres codes familiaux. Il fallait aussi conserver cette sensation « que quelque chose s’essaie, sous nos yeux » et ne pas laisser les situations s’installer (note d’intention de l’auteur).

J’ai donc élaboré une structure de jeu forte, contraignante physiquement et rythmiquement, en dessinant les corps et aiguisant les intentions de jeu. Par là, j’ai voulu traduire corporellement les contraintes liées à l’éducation et celles auxquelles toute personne évoluant dans une société est assujettie, en rendant lisible leur application, ou leur transgression. Outre le fait que ce procédé pouvait donner corps aux mœurs familiaux, il conduisait également les comédiens à un état d’exaltation, nourrissant leurs jeux et leurs fantaisies.

 

On ne choisit pas sa famille

Extrait des préceptes de jeu instaurés sur le damier de Bouge Plus !.

L’enfant notera tout ce qu’il apprendra.

Chaque chose entreprise devra arriver à son terme.

Interdiction de dépasser la frontière lumineuse encadrant la surface de jeu.

Obligation de se déplacer en suivant les carreaux du damier.

Lorsqu’on est assis sur les chaises, au lointain, on est en OFF.

Obligation de frapper le sol deux fois pour que la lumière s’allume ou s’éteigne.

 

L’espace de jeu

Un damier noir et blanc rappelant le sol des cuisines d’entant - ou encore l’échiquier - sur lequel se joue cette partie de vie et un encadrement de lumière marquant la frontière entre leur monde et le nôtre.

 

Paysage intérieur

La table, la chaise*, les fleurs, plus quatre chaises au lointain, devenant tour à tour coulisses à vue et estrade. 

*Chaise mobile constituée d’une comédienne et d’un tabouret intégré.

 

La chaise

Meuble onirique développant un attachement particulier pour chaque membre de la famille et avec lequel l’enfant va tenter de construire une complicité amicale et plus.

 

La mousse, matière liée à l’enfance

Dès le début du spectacle, le personnage jouant l’enfant détient dans un pot tous les éléments de son histoire : de petits avatars, grossièrement découpés dans de la mousse, représentent l’ensemble des éléments de son foyer. Il va jouer et rejouer l’histoire de sa famille avec ces éléments. Ce pot constitue un petit jardin intime que l’enfant cultive secrètement. Au cours du spectacle, l’enfant grandi et son univers prend forme, le damier a maintenant remplacé le pot et la mousse investit l’espace, transformant le décor. Le père et la mère ne sont pas exempts de ses transformations, ils se métamorphosent en table, en fleurs… Représentation poétique, la mousse rend matériel l’esprit et l’imaginaire de l’enfant.

 

La boite à musique

Petite boucle mélodique pouvant se répéter à l’infini, elle installe le spectateur dans l’univers de l’enfance, invite à l’ouverture de la boite lumineuse et présage de la mécanique du spectacle. Elle reviendra lors de l’histoire « D’un soir, le bois, les fleurs ! » racontée par l’enfant comme pour annoncer son dernier retour, lorsque tout aura été dit.


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